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Mercredi 13 juillet 2016, 8h du matin
Un grand bruit réveille en sursaut les habitants d’un petit appartement du quartier des Izards. La police vient de défoncer à coups de pied la porte de ce squat. Tout le monde commence à paniquer, les enfants sont effrayés, les agents hurlent qu’il faut sortir. Un interprète irakien est là pour assurer la traduction des policiers, mais quand ceux-ci se mettent à insulter copieusement les syriens, il préfère garder le silence. C’est alors qu’ils entreprennent de vider l’appartement manu-militari : matelas, vêtements, mini-four, papiers, jouets… tous les effets passent par la fenêtre du 1er étage, pour échouer sur le sol trempé du palier.
Des forces de l’ordre zélées
La présidente d’une association locale, qui passait par là en allant acheter des pâtisseries, et qui était déjà en contact avec ces familles, se retrouve malgré elle témoin de la scène. Et lorsqu’elle tente de prendre des photos avec son téléphone, elle se retrouve violemment plaquée contre un mur par un policier qui essaye de lui arracher le portable des mains. Elle-même ex-policière, elle avouera n’avoir jamais vu d’agression gratuite similaire à celle-ci durant toute sa carrière. En état de choc, elle quittera rapidement la scène.
Relogement en hôtel
L’expulsion est alors signifiée aux familles, ainsi que leur relogement provisoire dans un hôtel de la ville. Ils doivent présenter leurs papiers, mais étant donné qu’ils viennent de déposer une demande de régularisation à l’OFPRA, leurs passeports y ont été conservés en échange d’un récépissé. Et celui-ci mentionne les adultes, mais pas les enfants d’Omar. Malgré les 3 enfants présents, on ne leur délivre un bon de réservation hôtelière que pour 1 chambre. Omar se retrouve donc avec 1 chambre d’hôtel de 10 m² pour 5 personnes. Et pour 5 nuits seulement.
Pour toute la famille, c’est la consternation. Suite à leur dépôt de dossier à l’OFPRA, ils avaient reçu la visite d’un huissier quelques jours auparavant. Celui-ci, courtois, leur avait donné un avis d’expulsion, qui mentionnait qu’ils avaient jusqu’au 1er novembre pour quitter les lieux. Lorsque Omar montre cet avis aux policiers pour essayer d’expliquer sa situation, ces derniers se contentent de confisquer le document…
Une famille chassée par la guerre…
Omar a 39 ans. En Syrie, il était bijoutier, avec une bonne situation, une belle et grande maison. C’était il y a 4 ans. Avant qu’il ne quitte son pays.
En 2011, la révolution syrienne avait été avortée dans l’œuf. Et durant l’année qui a suivi, Omar a assisté impuissant à l’enfoncement du pays. Le déchaînement sanguinaire de Bashar Al-Assad contre son peuple. Les exactions arbitraires. La guerre.
…qui a choisi la France pour ses valeurs.
Plus rien ne pourra redevenir comme avant dans son pays. Après une année de descente aux enfers, il prends la décision de partir; il s’agit d’une question de survie. Il part pour l’Egypte; puis la Libye, l’Algérie, l’Espagne, et la France. 3 années pour regagner le pays qu’il a choisi.
Lorsque certains lui parlent des aides accordées par les pays d’accueil, il répond que s’il avait voulu aller quelque part pour de l’argent, ça aurait été l’Allemagne ou un pays du nord de l’Europe, bien plus généreux. Mais la France, à l’époque, il l’avait choisie. Pour ses valeurs. Pour la Liberté, pour l’Egalité, pour la Fraternité… L’espoir d’une reconstruction apaisée.
Son père, à son arrivée en France à peu près à la même période que Omar, loge dans une maisonnette toute proche. L’habitation prêtée par un marocain était déjà occupée par 2 autres familles. Une dizaine de personnes dans une chambre et un salon. Tout le monde se retrouve dans la cour, pour conserver les liens familiaux si importants.
Et ce soir, Omar et sa femme vont regagner leur chambre d’hôtel, avec 2 de leurs enfants. Leur fille aînée va rester dormir chez son grand-père. Et pour Omar, ce sera quelques bribes de sommeil à-même le sol, pendant que sa femme partagera le lit avec les 2 enfants.
L’espoir perdu ?
Aujourd’hui, Omar n’a plus le moral, et est inquiet pour sa femme. Malgré le sourire pincé pour la pose photo, Aminah déprime. Elle a des malaises et des contractions à 1 mois du terme de sa grossesse.
Et le couple ne sait vraiment pas où il sera dans une semaine, avec leurs enfants.
Le sale sentiment que leur destin n’est plus entre leurs mains. Ni entre les mains de quiconque. Le sentiment d’une vie en errance, comme une coquille de noix brinquebalée par des vents hasardeux.
Avoir traversé tant d’épreuves, pour rien. Etre devenu une statistique au bas d’un tableau, avoir perdu de vue ce qu’ils étaient.
Etre devenus transparents, sans visage, aux yeux de tous.